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Les échos d'aktao

Blog des Tendances qui vont transformer les Entreprises

Compassion et entreprise : oxymore ?

Compassion et entreprise : oxymore ?

ENQUÊTE Sous l’impulsion des chercheurs, et après des décennies vouées au culte de la performance individuelle, le management découvre les vertus de la compassion.

Bonne nouvelle : l’horreur économique n’est pas une fatalité. Au contraire, les entreprises capables de compassion seraient les plus aptes à surmonter les crises. La compassion en entreprise, un oxymore ? L’association des deux termes semble totalement incongrue. Et pourtant , le sujet passionne depuis quelques années le petit monde de la recherche anglo-saxonne. Le 30 avril, la prestigieuse université de Stanford organisait même une conférence sur le thème «la compassion et le monde des affaires». Avec, comme orateurs, un parquet d’universitaires, mais aussi quelques PDG prestigieux : Scott Kriens, président de Juniper Networks (routeurs informatiques), Steve Luczo, PDG de Seagate (solutions de stockage), etc. Jeff Weiner, PDG du réseau social professionnel LinkedIn, a, lui, carrément posté en octobre un long article sur sa page personnelle intitulée «Gérer avec compassion».

Souffrance. La compassion (1) serait-elle devenue la dernière mode du management ? La fameuse main invisible du marché chère à Adam Smith a des effets collatéraux de plus en plus violents dans les entreprises : stress, violence, souffrance au travail, parfois jusqu’au suicide. Le tout au détriment de la productivité. Mais heureusement, l’«homo economicus» - cet être rationnel, capable d’effectuer à chaque instant les choix les plus judicieux pour maximiser sa satisfaction - a besoin d’aider son prochain, collègue de travail en difficulté. Des spécialistes des neurosciences l’ont démontré : l’homme n’est pas uniquement mû par son intérêt personnel. Il a aussi besoin de faire plaisir aux autres, voire de soulager leur peine. Au point que rester passif devant la souffrance d’autrui augmenterait considérablement notre dose de stress. Chacun en a fait l’expérience : faire mine d’ignorer un sans-abri nous dérange. Sans parler du mal-être qui s’empare de nous face à la détresse d’un collègue harcelé que l’on ne se sent pas le droit d’aider.

Agir, bien sûr, n’a rien d’évident. Ecouter pendant des heures un ami déprimé ou prendre sur soi le travail d’un collègue amoindri par un deuil sont rarement des parties de plaisir. Mais pour qui réussit à soulager la peine de la personne concernée, la physiologie a prévu un gros dédommagement : une dose massive de dopamine injectée dans nos structures cérébrales ! Or, cette molécule est connue par les scientifiques pour faire partie de ce qu’ils appellent «le circuit de la récompense». Bref, aider rend heureux. A court et à long terme. Car vivre dans un environnement où l’on sait que l’on pourra assister autrui sans en subir de conséquences, mais aussi compter sur l’entraide de ses concitoyens, amis, ou collègues, fait baisser la tension artérielle, renforce les défenses immunitaires et augmente l’espérance de vie.

A plus grande échelle, la compassion serait même un des facteurs expliquant pourquoi une société humaine arrive à survivre, ou pas. Si ses membres ne s’entraident pas en cas de coups durs, les groupes humains sont tout bonnement condamnés à disparaître. Car isolés, sans soutien, la plupart des individus en souffrance se retrouvent incapables de surmonter les obstacles et deviennent donc des fardeaux pour la communauté qui, inéluctablement, décline. Or des coups durs, les hommes en subissent quasi quotidiennement : difficulté à atteindre des objectifs, maladie, deuil, échec professionnel ou personnel… «Il y a toujours de la souffrance dans une pièce», disait l’anthropologue Peter Frost. En d’autres termes, l’individualisme forcené n’est pas à terme soutenable. Ce constat a par exemple donné un nouveau souffle à la réflexion sur l’organisation des systèmes de santé : faciliter l’expression de la compassion ne remplace pas les moyens humains et financiers, mais peut aider les personnels à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent chaque jour dans des hôpitaux au bord de la crise de nerfs…

Les découvertes sur la compassion intéressent aussi de plus en plus les sociologues, les économistes et les politologues : «Dans quel type d’organisation sociale et politique les citoyens se sentent-ils menacés, ou au contraire, protégés ? Plus soudés, ou en guerre les uns contre les autres ? Le niveau de compassion des services sociaux augmente-t-il leur efficacité ? Voici quelques questions qui restaient vagues et que ces découvertes permettent désormais d’orienter», explique Christina Andersson. Cette chercheuse suédoise met actuellement sur pied un «centre de recherche sur la société soutenable», inspiré du «centre de recherche et d’éducation à la compassion et à l’altruisme» de Stanford.

Réputation. Mais comment libérer cette compassion naturelle qui serait donc en nous dans des sociétés où la recherche de l’intérêt personnel a été poussée à l’extrême ces vingt dernières années ? Jane Dutton et ses collègues de l’université du Michigan ont réfléchi à une mise en pratique concrète (lire ci-contre). Pour Robin Teigland, chercheuse américaine à la Stockholm School of Economics, Internet offre une piste intéressante en dehors des organisations existantes. «Sur certains réseaux, comme OpenSimulator, où l’on développe des plateformes en open source de mondes virtuels, la plupart des contributeurs les plus actifs sont des entrepreneurs. Autrement dit, des personnes dont le temps est précieux, dont l’objectif est a priori le profit, et qui, pourtant, consacrent énormément de temps à développer des programmes que chacun, y compris leurs concurrents, peuvent utiliser gratuitement.» Ces entrepreneurs, certes, trouvent d’autres compensations : un nouveau réseau social, une réputation, un challenge intellectuel, etc. Autant d’éléments qui sont bien la preuve que l’altruisme, comme la compassion, peuvent être compatibles avec le business. Pour les plus rétifs, sachez que l’on peut aussi «s’entraîner» à la compassion. Mais dans notre monde gouverné par les chiffres, la route sera évidemment très longue…

(1) Compassion : du latin compatior , «je souffre avec». Sentiment qui porte à plaindre et à soulager les maux d’autrui.

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